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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 19.1865

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Blanc, Charles: Grammaire des arts du dessin, 3, Peinture, 4-7
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https://doi.org/10.11588/diglit.18741#0076

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GRAMMAIRE UES ARTS DU DESSIN.

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l’histoire par le langage figuré de l’art, langage muet qui se dessine et
se grave dans la mémoire des peuples en traits ineffaçables, comme cette
éloquence de l’orateur athénien qui laissait dans l’âme ses aiguillons.

C’est une qualité rare chez les peintres que l’invention ; elle est rare
même chez les grands maîtres. Léonard de Vinci, ce génie chercheur,
profondément curieux, et voué à toutes les inquiétudes de son art, conseil-
lait à ses élèves de regarder parfois attentivement les taches acciden-
telles des vieux murs, les pierres jaspées, les veines du marbre, les
nuages, comme pouvant offrir à une imagination paresseuse des combi-
naisons singulières de lignes et de formes, et des motifs inattendus.
Le plus souvent lorsqu’ils inventent, les peintres ne font que trouver,
invenire, dans la fable, la poésie, la religion, l’histoire, des sujets déjà
inventés par les poètes, déjà illustrés et consacrés par la tradition.
Comme si l’imagination était une faculté plutôt septentrionale et ger-
manique, il n’y a eu guère d’inventeurs puissants qu’Albert Durer
et Rembrandt. Du reste, on est convenu de regarder comme une inven-
tion du peintre toute manière neuve de concevoir un sujet connu.

Pourquoi les hommes du Nord sont-ils plus inventifs? Peut-être parce
qu’ils sont plus habitués à la vie intérieure, à se recueillir, à réfléchir. Il
n’est que la solitude pour faciliter cette attention prolongée, cette médi-
tation persistante et profonde, qui sont la source des grandes pensées,
parce que, échauffant peu à peu l’esprit, elles finissent par y allumer
l’enthousiasme. De même qu’un avare trouve sans cesse des occasions
d’acquérir, parce que toujours il y pense, de même l’artiste peut trouver
continuellement à enrichir son esprit, s’il y pense toujours. La médita-
tion est justement ce qui manque aujourd’hui à nos peintres. Impatients
de produire, pressés de vivre, jaloux de suivre la marche haletante d’une
civilisation qu’emporte la vapeur, ils ne se donnent pas le temps de mé-
diter, et cela dans un art où tous les hommes de génie ont travaillé
comme s’ils n’avaient pas eu de génie. « La peinture, disait Michel-Ange,
est une muse jalouse; elle veut des amants qui se livrent à elle sans
réserve, sans partage. »

Encore une fois, soit qu’il invente ses motifs, soit qu’il les découvre
dans un poète, soit qu’il les renouvelle des anciens, le peintre doit les
concevoir en vives figures, et les tirer de l’obscurité vague où l’imagina-
tion les apercevait pour les appeler à la lumière, à l’évidence. S’il n’est
pas le premier créateur de sa pensée, il doit la créer une seconde fois en
rendant pittoresque ce qui était poétique, en faisant un spectacle de ce
qui était une idée, un sentiment ou un songe.

Voilà comment l’art du peintre se distingue de tous les autres dès la
 
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